- ORGUE ROMANTIQUE ET ORGUE SYMPHONIQUE
- ORGUE ROMANTIQUE ET ORGUE SYMPHONIQUEORGUE ROMANTIQUE & ORGUE SYMPHONIQUEOn entendra ici par orgues romantique et symphonique les instruments issus de la mutation organologique qui se produisit au cours du XIXe siècle, avec des facteurs tels que les Walcker (Allemagne), Henry Willis et Robert Hope-Jones (Angleterre), Aristide Cavaillé-Coll et Joseph Merklin (France). En schématisant, on dira que Cavaillé-Coll (1811-1899) construisit quelques chefs-d’œuvre qui méritent d’être conservés à l’instar des Clicquot ou des Isnard; mais ses successeurs à la maison Cavaillé-Coll, après 1898 (Mutin, Convers, Pleyel), orientèrent la facture dans une direction médiocre, ce qui explique les faillites successives de l’entreprise. Parmi les modifications d’ordre mécanique adoptées ou mises au point par ce facteur, citons le parallélisme des tables de réservoir d’air, la division des jeux en deux layes séparées (fonds d’un côté, anches et mixtures de l’autre), la pédale de tirasse (accouplement des claviers sur pédalier), les boîtes expressives, les pressions variables et les hautes pressions, la machine Barker (pour vaincre la résistance des claviers accouplés), le pédalier à l’allemande. En outre, de plus en plus souvent, le positif dorsal cède la place à un corps unique ou double, placé sur un même plan horizontal. L’orgue à structure verticale disparaît au bénéfice de l’orgue en étalement, avec récit expressif derrière le grand orgue. Cavaillé-Coll dessine admirablement une mécanique: «Lorsqu’on pénètre à l’intérieur d’un Cavaillé-Coll, on est toujours frappé par la logique du plan, la perfection de la facture en ses moindres détails et l’aisance avec laquelle on peut accéder à toutes les parties du mécanisme et de la tuyauterie» (J. Fellot). L’idéal harmonique du romantisme à l’orgue est de pouvoir passer insensiblement du pianissimo (bourdon de récit, boîte fermée) au tutti , tous claviers accouplés. Le grand plein-jeu n’est plus au fondement sonore de l’instrument (ce qu’il était depuis le Moyen Âge); les jeux de seize et de huit pieds se multiplient; les principaux se voient réduits au renforcement des flûtes; l’orgue romantico-symphonique est construit sur deux chœurs: le premier additionne les fonds (16, 8, 4), le second y ajoute les batteries d’anches (tutti ). Les tierces et nasards perdent leur fonction essentielle (grand cornet, grande et petite tierce). Les rares mixtures ne sont plus harmonisées sur les principaux, mais parlent sur la laye des anches; leur composition (reprises) ne peut donc plus être la même. L’orgue antérieur chantait dans le medium; l’orgue romantique recourt aux jeux octaviants et harmoniques et repousse toujours plus vers l’aigu ses claviers surchargés de huit pieds (61 notes et plus après Cavaillé-Coll); le diapason des principaux, par exemple, obéit à une progression mathématique, ce qui modifie notablement le timbre, du grave à l’aigu, avec une tendance, difficile à combattre, de la prééminence intensive des graves. Voulant imiter à la fois la virtuosité lisztienne du piano et la force de l’orchestre berliozien ou wagnérien, l’orgue abandonne la clarté polyphonique des baroques au bénéfice de la nuance d’intensité. L’orgue romantique appartient bien au siècle qui inventa l’accordéon et l’harmonium, appelé alors orgue expressif (sic). Pour satisfaire les demandes esthétiques de ce temps, Cavaillé-Coll conçoit les grands récits expressifs, qui sont remarquables par leur homogénéité sonore, avec leurs fonds multiples — gambes, salicionaux, voix célestes, flûtes harmoniques et octaviantes... — et leur batterie d’anches — harmoniques ou non. L’orgue en vient progressivement à être enfermé dans des «boîtes d’expression»; un clavier, deux, puis trois, enfin tous les claviers, y compris le pédalier, deviennent expressifs. C’est à l’époque de Cavaillé-Coll que la pratique de l’entaille d’accord se généralise en France. «L’harmoniste, en réglant les proportions de l’entaille, peut désormais créer de nouveaux timbres [...]. L’ouverture de l’entaille provoque l’émission de nombreux harmoniques: le timbre devient plus mordant. Par contre, on annule le bruit de bouche en taillant de nombreuses «dents» sur le biseau; l’attaque reste moelleuse malgré une légère augmentation de pression. L’orgue d’antan cherchait la couleur dans ses mutations; il est maintenant demandé au tuyau d’émettre ses propres harmoniques. Les jeux étroits sont munis d’un «frein» favorisant l’attaque de la fondamentale. A l’inverse des bourdons classiques, ceux de Cavaillé — rarement à cheminées — sont peu timbrés et plus doux. Seules les flûtes restent coupées en tons (J. Fellot). L’orgue de Cavaillé-Coll remplit parfaitement son office pour Cesar Franck, Charles-Marie Widor, Eugène Gigout, Marcel Dupré, Charles Tournemire... Toutefois, en matière de facture, il ouvrit la voie à des innovations qui rendaient difficile l’interprétation convenable de toute la musique antérieure. L’adoption du sommier à cases (à membranes) va de pair avec celle des transmissions tubulaires (pneumatiques) et électropneumatiques; ce sommier favorise un certain continu mélodique; «il alimente mieux, incontestablement, des jeux alignés selon le parallélisme des unissons et des octaves [...] et exigeant beaucoup de vent» (J. van de Cauter). L’orgue peut alors devenir gigantesque, puisqu’on peut multiplier à l’envi le nombre de jeux sur un même clavier. Le système Unit-organ , dû à R. Hope-Jones, est dans la logique de ce système, de même que l’orgue dit électronique (c’est-à-dire sans tuyaux), avec ses extensions et ses emprunts, où une même source sonore parle sur tous les claviers. Les extensions en mixtures (tempérées) sont inaudibles; on supprime donc ces jeux. «En ce qu’il a dû négliger d’acquis antique, Cavaillé-Coll fut le père et le précurseur de l’«orgue symphonique» dont la dernière expression fut l’orgue de cinéma ou de jazz, disparu ou presque: c’était l’impasse» (G. d’Alençon et C. Hermelin). En outre, si Cavaillé-Coll n’employait que de forts alliages d’étain, ses successeurs utilisèrent le zinc et des alliages médiocres. L’orgue, au tournant du XXe siècle, est devenu monochrome et plat. Les essais de synthèse entre les factures classico-baroque et romantique (Universal Orgel , orgue néo-classique de Beuchet-Debierre, puis de V. Gonzalez) n’ont atteint leur but que partiellement, car ni Franck, ni Bach, encore moins Frescobaldi ou Cabezón, n’y sonnent parfaitement. Il reste chimérique de prétendre construire l’instrument apte à permettre l’exécution fidèle d’une littérature aussi diverse que celle de l’orgue; un seul instrument n’y saurait suffire. On comprend pourquoi existent désormais des facteurs et des organistes qui exigent la restauration d’instruments abusivement transformés ou la construction d’instruments racés où les mélanges de styles trop nettement incompatibles sont bannis ou, en tout cas, limités au minimum.
Encyclopédie Universelle. 2012.